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Instagram, l'addiction sociale

Enquête sur les sources du caractère addictif d’Instagram, application anti-sociale et lubrifiant de notre société de l'hyperconsommation

logo d'instagram pour l'illustration d'un post de blog consacré à l'application

La question de la dépendance aux réseaux sociaux occupe actuellement le devant de la scène. Ainsi en décembre 2023 le parlement européen adoptait un texte sur « la conception addictive des services en ligne et la protection des consommateurs sur le marché unique de l’UE ». Plus récemment encore, en avril 2024, dans un rapport intitulé "Enfants et écrans : à la recherche du temps perdu", une commission d’experts diligentés par le gouvernement français relevaient : « les médias sociaux présentent des éléments de conception de type addictogène qui (…) doivent nous pousser à reconnaître l’existence de l’addiction aux réseaux sociaux »[ii].

 

S’appuyant sur l’excellente l’émission « Dopamine » diffusée sur Arte, cet article cherche à analyser les raisons du caractère addictif d’Instagram. Il s’attache à mettre en lumière comment les développeurs de l’application exploitent nos ressorts psychologiques profonds pour nous rendre complétement accros.

 

La mécanique d’Instagram résumée en 30 secondes

 

Instagram est un réseau social permettant de partager des photos et des vidéos. L’application propose un grand nombre de filtres capables de transformer les photos les plus médiocres en cliché à l’esthétique soignée, aux couleurs chatoyantes et parfaitement contrastées. Ces filtres constituent la grande innovation proposée par Instagram à sa création, bien vite copiée par toutes les applications concurrentes mais aussi les fabricants de smartphone. Ces filtres sont l’arme ultime qui permet de mettre en valeur le quotidien le plus trivial. 

 

Instagram, une application extrêmement lucrative

 

Lancée en 2010 par l'américain Kevin Systrom et le brésilien Michel Krieger, deux étudiants de l’Université de Stanford en Californie, Instagram connait un succès rapide et continu, à tel point que Facebook la rachète à ses créateurs dès 2012. Les  deux fondateurs resteront toutefois à la tête de l’appli jusqu’en 2018, avant qu’un différend avec Mark Zuckerberg sur la place croissante de la publicité sur la plateforme les poussent à la démission.

 

Aujourd’hui, Instagram est extrêmement rentable et constitue le joyau de la couronne du groupe Meta (ex-Facebook).  D’après le site businnesofapps.com, avec 60 milliards de revenus en 2023, Instagram génère 44% des revenus du groupe Meta. Instagram revendique plus de 2 milliards d’utilisateur à fin 2003. La moitié d’entre eux sont originaires d’Asie du Sud-Est et 70% d’entre eux ont moins de 35 ans. 

 

Le cœur du business model d’Instagram consiste bien sûr dans la capacité de la plateforme à retenir ses utilisateurs le plus longtemps possible en les incitant à s’abonner à un maximum de comptes, et à visionner et partager des contenus. Ce temps d’écran permet à l’application et sa maison mère Meta de collecter un maximum de données personnelles sur ses utilisateurs afin de leur proposer des publicités ciblées d’une redoutable efficacité.

 

Instagram ou l’outil ultime de validation sociale

 

L’émission Dopamine cite le professeur à l’Université de Stanford B.J Fogg, mentor du fondateur d’Instagram. Selon ce gourou des neurosciences, un comportement humain est déclenché par la conjonction simultanée de trois éléments :  la motivation, la capacité d’entreprendre une action et un déclencheur.

 

Sur Instagram, le déclencheur est un état d’anxiété imperceptible, la crainte de passer à côté de quelque chose d’exceptionnel que l’on calme en capturant cette situation par le médium photographique. Avec Instagram, la capacité d’entreprendre est illimitée grâce aux filtres qui permettent de rendre séduisante n’importe quelle photo. Enfin la motivation consiste dans notre désir de nous montrer sur le réseau social sous notre meilleur jour pour obtenir la validation de nos followers avec des likes.

 

Cette validation sociale est considérée comme un besoin fondamental de l’être humain. Pour B.J Fogg, l’être humain est avant tout un être social en constante quête d’approbation, et cherchant continuellement à s’évaluer à travers le regard d’autrui. Cette recherche de l’assentiment des autres nous permet de nous situer au sein de nos différents groupes d’appartenance, et ainsi de valider notre estime de soi.  Pour notre cerveau, Instagram est ainsi considéré comme l’outil d’approbation sociale ultime. L’application permet en quelques secondes de combler ce besoin profond, à travers la relève régulière, voire compulsive, du nombre de nos likes et de nos followers, considérés par notre cerveau comme des récompenses. 

 

Instagram ou la comparaison sociale à flux continu

 

Selon le psychologue Albert Bandura, professeur à l’Université de Stanford et inventeur de la théorie de l’apprentissage sociale, l’être humain est un animal social dont le bien-être est étroitement corrélé à son appartenance à un (ou plusieurs) groupe(s) composé(s) de ses congénères. Pour maximiser ce bien-être, il va d’un côté s’efforcer d’adopter des comportements similaires au groupe auquel il appartient et s’identifie, et de l’autre rejeter les comportements des groupes dont il ne fait pas partie.

 

La comparaison sociale est un processus automatique que le cerveau utilise en permanence pour atteindre plusieurs buts : se rassurer, gonfler son estime de soi, et lutter contre les influences extérieures pour rester soi-même. Ainsi quand on consulte les comptes d’autres utilisateurs, on se retrouve irrésistiblement attiré par 2 comportements antagonistes : d’un côté le rejet de certains comportements, de l’autre l’adoption d’autres comportements. Dans un processus que Bandura appelle apprentissage vicariant, c’est-à-dire que non seulement nous observons, mais aussi nous imitons consciemment ou inconsciemment les comportements des autres utilisateurs, les fameux influenceurs. Les influenceurs sont des utilisateurs suivis et regardés par tous. Il y a des super-influenceurs, qui sont des stars dans le monde réel avec des centaines de millions de followers, mais aussi des micro-influenceurs qui affichent (seulement) plusieurs dizaines de milliers de followers.

 

Les influenceurs sont devenus les petits soldats de l’économie capitaliste, qui vantent les vertus des produits des marques (qui les rémunèrent) afin de nous pousser à les acheter sans même nous en rendre compte. Il est en effet bien difficile de faire la différence entre les publications de ces influenceurs engagés dans un processus d’auto-promotion constant et le contenu publicitaire des marques poussé par les influenceurs investis du rôle de super-prescripteurs. De manière sous-jacente, notre désir de posséder ce produit considéré inconsciemment comme indispensable répond à notre besoin d’appartenance social.


Instagram constitue un puissant lubrifiant des rouages de notre société de l’hyperconsommation. 

Avec Instagram, le capitalisme et les annonceurs ont atteint ainsi une forme de saint-graal : brouiller les pistes entre les contenus commerciaux et les autres. La convergence entre les intérêts de la plateforme et ceux des marques commerciales explique le succès financier faramineux de la plateforme et sa mécanique interne. En s’appuyant sur les ressorts psychologiques du cerveau humain et notre désir d’appartenance et de reconnaissance sociale, Instagram constitue un puissant lubrifiant des rouages de notre société de l’hyperconsommation.   

 

 

Instagram, instrument privilégié du technococon de Damasio

 

En conclusion, Instagram conduit ses utilisateurs à jouer simultanément 2 rôles. D’un côté, l’utilisateur est actif en postant des contenus, ce qui lui permet de combler son besoin de reconnaissance ou validation sociale. De l’autre, l’utilisateur est passif lorsqu’il suit les publications postées par d’autres utilisateurs. C’est ainsi qu’il peut assouvir son besoin d’appartenance sociale.

Instagram est une application anti-sociale par essence, qui nous isole du monde physique et des contacts humains

Pour la plateforme, l’affaire est dans le sac : les déterminants profonds de ce qui fait de chacun de nous des êtres sociaux et sociables nous ont rendus prisonniers d’une application anti-sociale par essence, qui nous isole du monde physique et des contacts humains en nous enfermant dans un dialogue déshumanisant avec un écran de 6cm sur 12cm et nous enferme dans nos bulles numériques : le fameux technococon d’Alain Damasio, dont ce dernier parle bien mieux que moi dans son dernier essai « Vallée du Silicium »[iii], parue au printemps 2024 dans la collection Albertine des Editions du Seuil , qui fera l’objet d’un prochain billet de blog.

 

Pour aller plus loin :

 

Tous les épisodes de l'émission Dopamine sur le site d'Arte :

Le site web de l'Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique) qui a participé à l’écriture de l’émission : https://www.inria.fr/fr 

 

Des statistiques sur le business juteux des applications au cœur de nos smartphones :   https://www.businessofapps.com/data/app-data/


Références :

 

[ii] Enfants et écrans : à la recherche du temps perdu, Rapport de la commission d'experts de la Direction de l'information légale et administrative, avril 2024, https://www.codeps13.org/image/172504/56013?size=!800,800&region=full&format=pdf&download=1&crop=centre&realWidth=1240&realHeight=1754&force-inline

 

[iii] Vallée du Silicium, Alain Damasio, mars 2024, Editions Albertine/Le Seuil

 


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Jean-Alexis Toubhantz

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Bienvenue sur mon blog. Au fil des articles publiés sur nos vies numériques, j’interroge les opportunités comme les menaces de la révolution numérique pour notre quotidien, nos sociétés démocratiques, notre vie culturelle, les prochaines générations, etc.

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