The Great Hack se trompe de cible
Dans cet article, je souhaite porter un regard critique sur le documentaire The Great Hack, que j’ai récemment visionné sur la recommandation de Yan Luong, qui anime le module consacré aux réseaux sociaux dans le cadre du DAS en communication digitale. Sorti en 2019 sur la plateforme Netflix, le documentaire The Great Hack retrace le scandale Cambridge Analytica. Rappelons-nous : en mars 2018, la presse révélait que cette société spécialisée dans le lobbying politique avait soustrait illégalement les données personnelles attachées à des millions de comptes Facebook. Cette même société avait ensuite exploité ces données pour le compte du candidat Trump ainsi que pour les partisans du Brexit, avec les succès que l’on sait.
Pour décrypter les rebondissements de cette affaire et ses nombreuses conséquences, le documentaire nous entraîne dans le sillage de deux protagonistes principaux : D’un côté, David Caroll, un professeur des médias new-yorkais embarqué dans un long marathon judicaire pour le contrôle de ses données personnelles, de l’autre Britanny Kaiser, une ancienne collaboratrice clé de Cambridge Analytica devenue lanceuse d’alerte. Les auditions contrites d’Alexander Nix, le sulfureux patron de Cambridge Analytica devant une commission d’enquête parlementaire britannique, et celle de Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, devant le congrès américain, servent de toile de fond à l’intrigue.
The Great Hack peine à convaincre
Derrière un titre ronflant et une ambition pédagogique affichée, The Great Hack peine à convaincre. Certes les réalisateurs possèdent un certain sens du storytelling. Certes les effets visuels sont particulièrement réussis : on pense notamment à ces images qui montrent nos données personnelles (textes, images, emojis, etc..) s’échappant de nos terminaux mobiles comme des bulles de savons avant d’être aspirés par un immense vortex. Certes l’histoire est complexe et le sujet ardu. Il n’empêche The Great Hack laisse un goût d’inachevé.
A mon sens, le film souffre de plusieurs défauts. D’abord sa longueur et de nombreuses digressions qui nuisent à la fluidité du récit et à la clarté du propos. Ensuite la place prépondérante accordée à Britanny Kaiser. Bien sûr, avec cette employée repentie, le film nous invite à interroger notre propre ambivalence vis-à-vis des réseaux sociaux et de la technologie. Malheureusement, le flou entretenu autour des motivations du personnage dans sa nouvelle croisade et la complaisance des réalisateurs à son égard est particulièrement dommageable à l’intérêt et à la crédibilité du film.
Plus grave, le film peine à exposer son véritable propos : à savoir que l’ère du big data a créé les conditions cadres pour qu’existent et prospèrent des firmes comme Cambridge Analytica, à même de collecter et d’exploiter nos données personnelles pour influencer des processus électoraux démocratique. Cambridge Analytica n’a d’ailleurs pas survécu au scandale, mais ses méthodes se perpétuent aujourd’hui dans de nouvelles officines qui n’attendent qu’un prochain lanceur d’alerte pour être révélées.
Elargir la focale
Si on élargit la focale (ce que le film n’arrive que rarement et maladroitement à faire), le scandale Cambridge Analytica est avant tout la révélation au grand jour de notre dépendance toxique au GAFAM, et de la légèreté avec laquelle ces dernières préservent la confidentialité de nos données personnelles. Plus grave encore, cette affaire souligne la forme d’impunité dont bénéficie les GAFAM et l’extrême fragilité des démocraties occidentales, à l’ère du mariage sans vergogne entre le big data et les fakes news.
Je conclurais cet article en relevant un curieux paradoxe du film : dans un télescopage temporel étonnant, il s’avère que Jehane Noujaim et Karim Amer, les co-réalisateurs du film, se sont faits connaître en 2013 en réalisant un documentaire The Square plusieurs fois primé (mais que je n’ai pas vu) sur la révolution égyptienne de 2011, révolution qui a porté au pinacle les réseaux sociaux, vu comme la talon d’Achille des dictatures moyen-orientales. 10 ans plus tard, il est frappant (et navrant) de constater que ce sont ces même réalisateurs qui portent un regard radicalement différent sur ces mêmes sociaux et leur rapport aux processus démocratiques.
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